Lendemain de Kamakura. J’ai plutôt apprécié ma balade en forêt et dans la foulée je me dis qu’aller un peu plus à l’ouest de Tokyo me changer d’air ne pourrait pas me faire de mal, surtout si c’est pour respirer un air montagnard. Levé tardivement parce qu’on est quand même dimanche, je décolle vers 10h30 direction Bubaigawara dans un premier temps puis Kitano où évidemment il fallait changer de train ce que je manque de faire. La Keio Line a deux points d’arrivée différents, un coin-flip loupé. Par chance je choppe le train dans le sens inverse à la station suivante et attrape même sans attendre la correspondance qui finit à Takaosanguchi, presque au pied de mon aventure.
En sortant de la station, un grand panneau présente les différentes voies d’accès du sommet. Il ne culmine pas bien haut, seulement 599m, mais regorge de bon nombre d’espèces animales et végétales qui sont mises en danger par l’avènement prochain d’une route creusée sous le mont…
Il y a 8 chemins pour y parvenir. De durées différentes, de difficultés différentes et d’intérêts différents. Si vous préférez le gazouillis des oiseaux tapez-vous le rouge, si vous préférez la moiteur de la forêt grimpez le bleu. Enfin si vous êtes un gros fainéant prenez le petit train-funiculaire ou le télésiège qui vous amèneront à la moitié de la montée. Fainéant oui, mais un fainéant riche, 900¥ l’aller-retour !
Moi je suis sportif (c’est ce qu’on se dit quand on veut pas payer 900¥) alors j’opte pour le parcours violet qui me semble pas mal, 100 minutes d’ascension pour 3,8km avec passage devant le Yakuoin Temple. Pour reprendre les mots d’une certaine exploratrice au sac à dos violet : ‘Allons-y, Let’s go. C’est parti les amis !’
Directement un truc saute aux yeux, enfin plutôt aux jambes, le pourcentage de la pente. Car plutôt que de faire une pente de quelques pourcents en plusieurs lacets, le chemin pavé grimpe à 30° sur 3 virages. Autant vous dire que passer du plat à un dénivelé aussi raide ça vous réduit les cuisses à néant en quelques pas. Ajoutez à ça une chaleur écrasante même à l’abri des rayons du soleil et vous obtenez une punition mythologique. Une réflexion me vient d’ailleurs rapidement « J’ai prévu de faire le Fuji dans 15 jours…Dans quoi me suis-je embarqué… ».
Heureusement 25 minutes plus tard vient un replat qui vous arrache à la fois sourires et soupirs. A mi-chemin il est l’heure de profiter un peu du premier panorama sur Hachioji, une ville de 575 000 habitants. C’est un peu brumeux, ou pollué sans doute.
Ensuite c’est reparti pour la suite de la grimpette. Passe sous la Joshin Gate et enquille vers le temple. Ici la simple pente, brute et abrupte, fait place à des escaliers ponctués de passages au dévers doux. Beaucoup plus agréables.
Je parviens donc rapidement à Yakuoin. Ce temple est en fait un complexe de plusieurs bâtiments protégés par les tengu. Les tengu sont des dieux du folklores japonais, reconnus comme d’appartenance aux deux cultes majeurs du pays. Ils sont de deux types et ont des apparences animales. Il y a karasu tengu, celui au bec de corbeau et aux ailes du même volatile, mais aussi konoha tengu qui n’a plus que les ailes mais hérite en compensation d’un nez, ma foi, fort proéminent et d’un éventail de plumes parce qu’il fait quand même chaud. Ces dieux sont les protecteurs des montagnes et il n’est pas rare de voir des masques les représentant être portées durant les fêtes religieuses.
Je grimpe encore un peu pour enfin atteindre le sommet. Le lointain est toujours aussi plongé dans la grisaille. Là je ne sais pas vraiment pourquoi mais deux Japonaises me demandent si je veux bien faire une photo avec elles. Archi-surpris je profite de ce moment qui pour George ‘What Else ?’ est le pain quotidien. Je prends quelques photos puis vais quand même manger un morceau. Il est 15h et la montagne si ça vous gagne ça vous creuse aussi.
Je toaste donc mon désormais spécial jambon-fromage quand le copain des deux japonaises rapplique pour lui aussi faire une photo avec moi. « Nan mais what ?! Y’a moyen de bouffer tranquille là ? » me dis-je. Néanmoins je me dis aussi qu’avec un peu de chance je vais bientôt signer des autographes, être idolâtré, avoir des statues et des rues à mon nom, un film sur ma vie, une légion d’honneur…Enfin bref j’accepte mais je leur demande quand même pourquoi. La réponse n’en est pas une, ils ne savent pas me dire pourquoi mais me récitent néanmoins leurs habituels connaissances dans notre langue quand je leur dis d’où je viens. Je suis donc une star malgré moi, un génie incompris. Je peux me consoler en me disant que si en étant inconnu j’ai la côte, il me suffira de pas grand chose pour devenir le Raël du soleil levant…
Je finis mon sandwich parce que pour l’instant j’ai pas droit aux milliers de fidèles qui me suivent avec des plats en argent, essaye de nouveau de voir au loin sans plus de succès puis me lance dans la descente par un autre chemin le rouge. Oui, je sais, normalement le rouge on l’évite mais là c’est celui qui passe par les sous-bois et qui suit la rivière alors il s’annonce plutôt tranquille.
Evidemment j’ai parlé trop vite et au bout de 5 minutes j’arrive dans une zone où on chante moins qu’on déchante, Ridin’ in the rain. Les escaliers sommaires sont couverts de boue et l’objectif premier n’est pas de garder ses chaussures aussi propres que possible.
Au contraire du chemin bétonné emprunté pour me rendre au sommet, ici la nature ne semble pas avoir subi le même sort. Luxuriance et verdoyance sont les maîtres mots. Bien sûr il suffit de se le dire pour qu’apparaissent des grillages, des tuyaux, un barrage pour canaliser l’eau. Si encore c’était bien fait mais tout l’attirail a été posé à la va-vite, des boudins jaunes serpentent entre les feuilles, le béton fait surface, la rouille et la ferraille avec. Décevant.
S’il y a bien un truc que je déteste c’est ça, s’il est impossible d’empêcher l’homme de vouloir toujours arracher plus à la nature qu’au moins il s’applique et ne laisse pas les choses se détériorer, laissant la végétation se débattre avec les résidus ferro-plastiques. Tout le reste était pourtant plutôt pas mal tenu, mais dès qu’on passe derrière les belles devantures, hop, on jette tout ce qui nous embarrasse à la rivière avant de s’y laver les mains…
Difficile de ne pas y penser. La fin de la ballade a un goût amer me gâchant le plaisir des soixante minutes de descente. Je tombe néanmoins sur des statues des 7 dieux de la chance. Vu l’importance qu’ils ont et le nombre de temples et de lieux qu’on leur dédit, il serait temps que je vous en compte la légende.
Lunettes, rockin’ chair, peau de bête et coin du feu. Ecoutez donc les enfants.
Les Sept Divinités du Bonheur sont plus connus au Japon sous le nom de Shichi Fukujin. A l’instar de Simplet, Prof et leurs compères ils ont aussi chacun leurs spécificités. Il y a là Hotei, un gros bedonnant souriant qui partage ses mains entre une éventail et une bourse pleine à ras bord, il est le dieu de l’abondance, du commerce, du contentement et de la bonne santé . On retrouve aussi Benzaiten qui fait les 35h trois fois par jour en cumulant les postes de déesse du savoir, de l’éloquence, de l’art, de la beauté, de la musique, de la littérature, des sciences, de la vertu, de la sagesse, de la prospérité et de la longévité. Au prochain remaniement diviniministériel elle récupère le le secrétariat de Fukurokuju qui s’occupe pour le moment du bonheur, de la richesse, de la virilité et de la sagesse. Jurojin quant à lui se fait discret en ces temps de crise, se contentant de la prospérité et de la longévité. Il y a aussi Daikokuten, divinité de la richesse, du commerce et des échanges, Ebisu, divinité des pêcheurs, des marchands et de la prospérité et enfin Bishamonten, divinité des guerriers et de la prospérité. Ce dernier a d’ailleurs été récemment impliqué dans une affaire de compte fictifs en Suisse où il faisait voter des morts par dose létale de shampoing L’Oréal à la provitamine B14. Mais cela ne nous regarde pas…
Ces divinités proviennent pour la plupart de Chine d’où elles venaient déjà d’Inde. On leur dédit souvent des netsukes, ces petites statuettes en bois. Enfin le septuor se balade généralement en bateau, le Takarabune, non il ne s’est pas échoué avec des litres de mazout et pourtant le nom y fait penser. Ce navire transporte des trésors et débarque dans la nuit du 31 décembre pour apporter, à tout ceux qui y croient, leur dose de bonheur. Il est de coutume de glisser sous son oreiller une image les représentants pour être sûr que la nouvelle année sera réussie. Reste encore à retrouver son lit après des bisous à n’importe qui sous le gui, 5 flûtes de champagne à la main, une langue de belle-mère dans la bouche et un cône en carton de toutes les couleurs dont l’élastique vous étrangle sur la tête. Mais ça la légende n’en parle pas.
Je raccroche mes lunettes et je repars vers Hiyoshi en regardant par la fenêtre du train. C’est dingue, même à 45km de Tokyo, les maisons sont toujours serrées les unes aux autres et l’urbanisme ne semble avoir perdu que ses buildings.